Crise sanitaire Covid-19 : Quand la BCEAO frappe fort, mais… pas assez… !!!

La crise sanitaire occasionnée par le coronavirus est inédite. L’ampleur de la propagation de la maladie a surpris plus d’un. Et les mesures qui ont été initiées et prises par les pouvoir publics traduisent l’importance de ce problème sanitaire qui a gangréné toutes les économies du monde.  Ces mesures d’ordre sanitaire ont été prise dans la précipitation – urgence sanitaire oblige – sans souvent mesurer leurs conséquences économiques et sociales. En effet, le confinement des populations, l’instauration de couvre-feu, la fermeture des unités de production (marché, maquis, écoles, épiceries, etc.), la suspension des activités culturelles et touristiques, sont autant de mesures qui auront des répercussions négatives sur l’activité économique.

L’arme monétaire, instrument privilégié pour juguler le choc COVID-19 !

Pour éviter qu’à cette crise sanitaire ne vient s’ajouter une crise économique, les Etats utilisent tous les instruments de politique économique à leur possession. Ils ont notamment actionné l’arme monétaire dont les effets sont le plus souvent immédiats.  Au niveau de l’UEMOA, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a annoncé, dans un communiqué publié il y a deux semaines, des mesures d’urgence prises pour permettre aux Etats membres de cette zone de faire face, au plan monétaire et économique, à la pandémie du coronavirus (Cf. l’intégralité de ces mesures dans l’encadré ci-dessous).

Pour faire court, les mesures annoncées par notre Institution d’Emission peuvent être résumées comme suit :

  • augmenter les ressources mises à la disposition des banques et faciliter leur refinancement ;
  • sensibiliser les banques et promouvoir leur accès à l’information pour une utilisation accrue des instruments existants (guichet spécial de refinancement de crédit accordés aux PME/PMI) ;
  • mettre en place un dispositif d’accompagnement des entreprises en difficultés de remboursement de leurs emprunts;
  • améliorer le système de paiement et la circulation de la liquidité ;
  • abonder de 25 milliards les fonds de bonification de taux d’intérêt de la BOAD pour lui permettre d’augmenter le montant des prêts concessionnels accordés aux Etats.

Les mesures de la BCEAO sont salutaires mais…

D’amblée, ces mesures sont salutaires à bien des égards. En effet, dans ce contexte délétère où les banques ont failli subir des courses aux guichets, l’accroissement de la liquidité mise à la disposition des agents économiques non financiers doit leur permettre de satisfaire leurs encaisses de précaution et de réduire donc leur méfiance vis-à-vis du système bancaire. Aussi, l’augmentation des ressources en faveur des banques, l’activation de tous les instruments permettant d’accroitre leur refinancement sont des mesures qui pourraient permettre de maintenir, voire accroître le financement de l’économie.

…l’institution d’émission pouvait faire mieux …

Cependant, lorsque l’on observe ce que certaines banques centrales (BCE, FED etc.) ont entrepris comme mesures urgentes pour faire face au Covid-19, on a envie de dire que la BCEAO a frappé fort… mais pas assez. En effet, le moins que l’on puisse dire c’est que la plupart des actions annoncées ne peuvent s’opérer immédiatement. Pis, leurs effets escomptés devront se faire attendre. (Or, regardez dans quelle urgence nos économies se trouvent actuellement !)  A titre illustratif, nous savons que pour utiliser les services de refinancement du guichet PME/PMI, il faudra monter un dossier très technique et donc faire face à des difficultés dont leur résolution implique temps et moyens. Aussi, combien de temps un Etat comme le Burkina Faso va mettre pour monter son dossier qui sera soumis à la BOAD (pour analyse qui prendra du temps) afin de bénéficier du financement concessionnel de cette dernière dans ce contexte de quasi-confinement ?

…en ayant recours aux instruments non conventionnels !

Nous pensons que la BECEAO aurait pu utiliser des instruments non conventionnels qui permettent de parer à l’urgence. Il s’agit, comme l’ont fait certaines Banques Centrales de par le monde, de l’achat et/ou   du rachat des dettes publiques par exemple. Cela permettrait de fournir de la liquidité aux Etats et de réduire leur coût de financement sur le marché (surtout que la BCEAO envisage le réaménagement du calendrier d’émission des titres publics sur le marché financier régional).

Aussi, même si les concours directs aux trésors publics ont été supprimés au tournant des années 2000, la BCEAO aurait pu utiliser cet instrument car situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle ! Nous pensons que c’est l’instrument le plus adapté pour alléger la contrainte de financement des gouvernements qui sont visiblement dans des situations financières difficiles !

En fin, une mesure conventionnelle que la BCEAO n’a pas actionnée est la réduction du taux directeur. Théoriquement cette mesure pourrait permettre de détendre les taux d’intérêt en vue de relancer l’investissement et la consommation à travers le crédit moins cher. Elle pourrait également inciter les banques à maintenir voire relancer leurs prêts aux ménages et aux entreprises.

Que retenir ?

Au total, les mesures envisagées par la BCEAO dans ce contexte de crise sanitaire sont salutaires. Toutefois, elles pourraient être plus efficaces si les effets étaient immédiats car la crise est purement conjoncturelle et, de ce fait, les instruments utilisés devraient pouvoir produire leurs effets dans un délai d’une ou deux semaines par exemple ! Des mesures qui peuvent produire ce genre d’effets sont celles qui sont non conventionnelles que l’institution d’émission n’a pas envisagées pour le moment (concours directs aux trésors publics, rachat des dettes publiques, etc.) !

Encadré : la série de mesures annoncées par la BCEAO

Au regard de l’impact négatif que cette crise pourrait avoir sur le système bancaire et le financement de l’activité économique dans l’Union, la Banque Centrale, qui suit avec la plus grande attention l’évolution de la pandémie, a décidé : 1. d’augmenter les ressources mises à la disposition des banques, afin de permettre à celles-ci de maintenir et d’accroître le financement de l’économie. A cet égard, une première hausse de 340 milliards a été apportée au montant que la Banque Centrale accorde chaque semaine aux banques, pour le porter à 4.750 milliards ; 2. d’élargir le champ des mécanismes à la disposition des banques pour accéder au refinancement de la Banque Centrale. Dans ce cadre, la BCEAO a pris l’initiative de faire la cotation de 1.700 entreprises privées dont les effets n’étaient pas acceptés auparavant dans son portefeuille. Cette action permettra aux banques d’accéder à des ressources complémentaires de 1.050 milliards et aux entreprises concernées de négocier et bénéficier de meilleures conditions pour leurs emprunts ; 3. d’affecter 25 milliards au fonds de bonification de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) pour permettre à celle-ci d’accorder une bonification de taux d’intérêt et d’augmenter le montant des prêts concessionnels qu’elle accordera aux États pour le financement des dépenses urgentes d’investissement et d’équipement dans le cadre de la lutte contre la pandémie ; 4. de rappeler et de sensibiliser les banques à l’utilisation des ressources disponibles sur le guichet spécial de refinancement des crédits accordés aux petites et moyennes entreprises (PME/PMI). Ce guichet, sans plafond, a été créé dans le cadre du dispositif mis en place par la BCEAO en accord avec les banques et les États pour promouvoir le financement des PME/PMI dans l’Union ; 5. de mettre en place, avec le système bancaire, un cadre adapté pour accompagner les entreprises affectées par les conséquences de la pandémie et qui rencontrent des difficultés pour rembourser les crédits qui leur ont été accordés. La BCEAO sollicitera les banques pour qu’elles accordent les reports d’échéances appropriés, en particulier aux PME/PMI ; 6. de mener des négociations avec les entreprises d’émission de monnaie électronique en vue de réduire les coûts des transactions et encourager les populations à une plus grande utilisation des moyens de paiement digitaux pour mieux limiter les contacts et les déplacements ; 7. d’approvisionner les banques en billets en quantité et en qualité suffisantes, afin de leur permettre d’assurer un fonctionnement satisfaisant des guichets automatiques de banques (GAB) ; 8. d’organiser, au besoin, le réaménagement du calendrier d’émission des titres publics sur le marché financier régional.

Source : BCEAO